Marlaine Bournel travaille à partir de l’interrogation « D’où je suis ? ».
Qu’est-ce qu’un espace géographique, un tracé ? Qu’est ce qui est charrié en cours de chemin ?
Mais t’es d’où ?
De quel espace , quelle culture ?
D’où tu me parles ?





D’où t’es partie ?
Je viens d’un lieu instable, toujours en mouvement, moins depuis maintenant. Et puis, il y a une invitation dans un atelier partagé au bord de la Garonne, Déménagements, nouveaux espaces, s’installer, partir. La terre alluviale, souvenirs mobiles, intriguent. Je prends des histoires à chaque passage. Je cherche la terre, j’emprunte la terre sur les bords de la Garonne. Je dialogue avec habitants du lieu, je dialogue avec les habitants autour du lieu, j’écoute des histoires d’avant ce lieu. Iels me racontent. Je fabrique des plaques : sur des voiles, du bois, du papier, des bouts de tambour.
A même le sol, j’étire. Je frappe la terre, je trace la terre. Je tends, je cloue, je suspends.
Matière, charpente, mémoire. Terrain fragile. Ça craque. Je répare. Je refais. C’est à ma taille : mon pied, ma main, mon geste, mon amplitude.
Il me raconte l’épure, la triangulation. Une invitation dans un atelier au bord de la Garonne.
Un espace atelier en chantier. Je sculpte, je taille, j’aplatis, j’empreinte le sol, les murs. Je tends une structure. Je trace les chemins, les itinéraires depuis longtemps et celui depuis maintenant : la boue, les lieux, mes pas, les leurs. Je façonne ce qui passe, ce qui reste. Je cueille des traces. Je fais réapparaître des histoires. Une situation sculpturale. Des plaques, comme des morceaux de mémoire.
Quand on me demande : « mais t’es d’où ? » Je tends la boue.
Je tends la plaque. Je ne parle pas. Je montre. Un geste simple, suspendu, urgent.
Être là, ici, et maintenant où je vous invite à visiter ce qui pourrait bien être une tentative de réponse à « mais t’es d’où ? »
Ici, là , maintenant, où j’en suis après trois semaines de résidence aux ateliers Carbet, au bord de la Garonne. Lorsque je suis arrivée, je portais avec moi l’idée de mes nombreux lieux d’habitation, j’en ai habité vingt au total, je me suis construite à travers ces changements. Et c’est parce que la terre alluviale est une matière en mouvement, qui traverse, transporte, puis se dépose et se sédimente qu’à chaque étape, de mes recherches, créations, tentatives, expérimentations, objets transitifs, etc. cette terre, cette vase mouvante, a eu du sens à mon sens. Pour cette qualité à la fois fluide et porteuse de mémoires, capable de se fixer en strates, que j’ai décidé de l’expérimenter, de faire corps à travers des situations sculpturales. J’ai installé un atelier, un espace fragile à partir de la cale du vieux port et un lieu sous la rocade, deux endroits traversés par les flux du fleuve et des voitures. Là, j’ai extrait la vase des berges, je l’ai étalée en plaques, je l’ai laissée sécher, je l’ai courbée, façonnée. La cale est devenue figure, forme.
Certaines plaques portent la trace de mon prénom, de mon empan, d’autres le nom du lieu de résidence. J’ai dessiné ma trajectoire sur calque au stylo-bille, assemblé tiges, tubes, peaux, façonné des conduits, des structures en tension. Imaginé des séchoirs sous tension. Ces plaques sont comme des morceaux de mémoire : elles semblent instables, mais je les répare, je les stabilise. Elles se forment par un dialogue entre la matière, le lieu et mes histoires. Des histoires de charpente et de triangulation, de lignes et de tracés, de terre qui se taille, se modèle, craquelle, sèche, casse, rétracte, en une plaque, un territoire de quelque part. Les mottes de terres quantifient, mesurent l’espace, le temps. Le temps des déplacements, le temps des résidences, le temps de séchage, le temps de l’espace.
Ici une colonne sans fin, là une cale d’un flux bruyant, des cales sous tension. Des restes d’une histoire du faire de terre.
J’emprunte à la Garonne sa terre alluviale, et j’empreinte le lieu. Je l’empreinte par des tentatives de matrices ou de gaufrage des sols, des murs ou plafonds, j’empreinte les formes du lieu. Je les mêle à mes histoires de trajectoires. Mes déplacements d’il y a longtemps, et d’il y a presque ici et maintenant.
Ce qui est, là, ici dans ce lieu, un dispositif de morceaux de recherche. Un atelier en chantier, où la matière façonne la parole, une parole suspendue, spatiale, en écho au mouvement de la terre. Ça raconte, parle mes déplacements, mes rencontres, avec l’atelier, le quartier, les personnes, l’histoire du lieu. La terre, ici, là, raconte la Garonne, vos pas, mes pas, nos trajectoires, nos strates de vie. Alors voilà : je ne viens pas apporter une réponse simple à « t’es d’où ? ». Je tends, pose cette vase, ces plaques. J’ouvre un espace en construction, un espace à voir, une situation d’espace et de temps. À vous d’y entrer, de l’habiter.
Marlaine Bournel, résidence aux Ateliers Carbet, juin-juillet 2025