Virginie Delannoy, entretien avec Amandine Daguerre aux Ateliers Carbet, sept 2025

Virginie Delannoy, du 22 au 27 septembre 2025

Lors de ma résidence aux Ateliers Carbet, je poursuis une recherche sur les masques débutée en 2019 et réalisée grâce à plusieurs techniques ; dessins aux scotch sur bâche, collages, photographies, édition en Risographie.
Ce travail questionne nos relations à l’architecture et à nos habitations car mes masques prennent toujours la forme de bâtiment. La façade est pour moi l’équivalent du visage humain, comme son double en architecture.
Réalisés d’après des photographies, les précédentes séries de personnages masqués présentaient des personnages publics, acteur-rices de la fin du 20e siècle, devenus méconnaissables.
Avec ce nouveau projet, je cherche à faire le portrait masqué des artistes, architectes et paysagistes qui travaillent quotidiennement aux Ateliers Carbet. Le point de départ n’est plus une photographie mais un entretien avec chaque personne pour comprendre à quel point nous sommes habités par nos lieux de vie et dans quelles mesures, ils révèlent des parties de nous-même.
Virginie Delannoy
Verticales et concentrées, risographie, Collection Cahier, un projet Act-Art / Halle nord, 2021
Verticale et concentrée, livre d'artiste, collage.
Verticales et concentrées, risographie, Collection Cahier, un projet Act-Art / Halle nord, 2021

Ma pratique est plurielle, de la gravure sur bois à la sculpture en passant par la photographie, la vidéo et le dessin. Mes techniques varient en fonction des projets. Pendant 22 ans, la sculpture et l’installation ont occupé une place centrale dans mon travail. Puis, en 2018, une nouvelle phase s’est ouverte avec le dessin grand format, d’abord au fusain, puis au scotch, technique qui me permet de ne pas faire l’impasse sur les valeurs tridimensionnelles qui m’intéressent. Plus que des ruptures, ces diverses périodes constituent des blocs de transformations correspondant à des moments de vies et des recherches précises, elles révèlent des fils conducteurs parfois imperceptibles mais bien présents.

Portraits de famille, scotch sur bâche plastique, 1m33 x 65cm, 2022
Portraits masqués, scotch sur bâche plastique, 3m30 x 2m20, 2021 Exposition Images & regards, Espace Vallès, Saint-Martin-d’Hères

Les installations in situ des premières années reflétaient mon intérêt pour la mise en espace et les lieux architecturés. Arrivée à Genève en 2005, j’ai commencé à travailler avec du mobilier, les étagères et les armoires ont pris la place des lieux d’exposition qui me manquaient. Je les remplissais, les transformais, détournais leur espace contenant. Lorsque le dessin est apparu, les meubles sont devenus mes modèles pour m’acheminer de plus en plus vers l’abstraction. Le désir de travailler sur les masques en 2018 m’a amené à la figuration, le visage, contre toute attente est apparu dans les dessins. Au début de la recherche, je voulais masquer des visages peints de l’histoire de l’art, en laissant uniquement transparaître les yeux. Lorsque j’ai découvert les regards fascinants des portraits romains du Fayoum, j’ai su qu’ils seraient l’inégalable objet de mes recherches. J’ai utilisé du scotch en comptant sur sa capacité d’occultation. Scotcher me permettait une suite de gestes jubilatoires et efficaces pour obstruer l’image : dérouler, coller, cacher, revenir, superposer. Après un an et demi d’expérimentation, je n’ai pas réussi à masquer les portraits du Fayoum mais j’ai transformé ma méthode de travail avec le scotch. Il n’a plus été utilisé comme procédé de camouflage mais comme matériau unique pour créer l’image entière et faire apparaître des visages. Plus tard, j’ai masqué des portraits d’acteurs. Mes masques prennent toujours la forme de bâtiment, je vois dans la façade l’équivalent du visage humain, comme son double en architecture. La façade se donne à voir du dehors, elle renferme un intérieur, une intimité. La série des personnages masqués questionne nos relations à l’architecture et à nos habitations. A quel point sommes-nous habités par nos lieux de vie ? Dans quelles mesures sont-ils aliénants, révèlent ils des parties de nous-même ?

Depuis que je travaille en deux dimensions, le noir a pris une place importante dans l’élaboration et la matérialité des dessins. Réminiscence de ma pratique ancienne de la gravure sur bois, je cherche une qualité de noir intense et tactile, une intensité que je trouve aujourd’hui dans l’usage du fusain et du gaffeur noir. Cette appétence pour le noir relie les dessins entre eux tout comme mon intérêt pour la citation. Elle correspond au besoin de travailler avec un élément détaché de moi, hétérogène. En sculpture, l’utilisation de cartes en relief ou de mobilier a profondément transformé ma pratique. Face à moi, l’objet impose sa propre identité, sa présence, son intensité. Un dialogue s’installe, imprévisible, entre ce qu’il est et ce que je cherche. Avec le dessin, ce rôle a été repris non plus par des objets, mais par des citations d’œuvres d’art. Des images cinématographiques, par exemple, deviennent les éléments extérieurs avec lesquels j’entre en relation. Elles introduisent dans le travail des notions d’histoire et de temps et engendrent une multiplicité de niveaux de lecture.

Virginie Delannoy, autoportrait, 2025

Biographie

Virginie Delannoy est née en 1969 à Paris. Elle vit et travaille à Genève, Suisse.
Ses œuvres ont été présentées dans des expositions personnelles et collectives, en France, en Suisse et à l’international. Elle collabore régulièrement avec d’autres artistes comme Carmen Perrin notamment pour l’installation Des foules, des peuples, des créatures au Musée Saint-Léger (Soissons, 2022) qui a donné lieu à un chantier participatif pour la réalisation de pièces en pisé. Elle est membre du collectif CLARA depuis 2005, aux côtés d’Emmanuel Aragon, Samuel Buckman et Gilles Picouet. Ensemble, ils mettent en place des projets de grande envergure, tels que Devenir charpente (La Maréchalerie, Versailles, 2021) et Maturités (Centre d’art Les Tanneries, Amilly, 2023).

Pendant plus de vingt ans, la sculpture et l’installation furent au centre de la pratique artistique de Virginie Delannoy. En 2017, si ce n’est pas une rupture, un bouleversement a lieu dans son travail, elle se consacre au dessin sans faire l’impasse sur les valeurs tridimensionnelles qui l’intéressent. Après deux années de travail au fusain, elle souhaite introduire la couleur et travailler avec des matériaux bruts. Le scotch prend la place du fusain, le dessin est entièrement construit sur de la bâche par des centaines de petits morceaux de gaffeur. L’image, de près, s’apparente a une composition abstraite, la distance compose l’image et permet au spectateur de la lire dans son entièreté. Interrogent la relation entre corps et environnement, en conciliant la dimension intime et collective, ses dessins, à la fois fragiles et monumentaux,

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